Pierre armoriée d'un abbé de l'Abbaye de
Bonne Espérance
En
venant de la Chapelle Sainte Anne en allant vers Binche, si vous tournez à
gauche à la placette du" Paysan" et que vous faites quelques pas dans
la rue de Pastures vous voyez à votre gauche une assez vaste demeure qui fut un
temps occupée par un antiquaire. L'inscription au "Vieux Binche" en
témoigne
La
présence de cette pierre armoriée à proximité de la chapelle Sainte Anne
laissait croire qu'elle représentait les
armoiries d'un autre Abbé de l'Abbaye de Marchiennes sur la Scarpe. La
chapelle porte un écu aux armes de l'Abbaye et de Jean de Jonquois. L'hypothèse
de Paul Clovis Meurice, qu'il exprimait
dans les annales de la Société d'Archéologie de Binche en 1920, est erronée.
Un
collègue de la SAAMB me signale un jour que le blason de la rue des Pastures
ressemble à celui que l'on peut voir aux "caves Bette" sur le linteau
de la cheminée de la salle du haut accessible par le parc.
Je
constatai que c'était une parfaite identité. Exécuté dans une pierre de
nature différente, de couleur jaunâtre, il
avait moins bien résisté aux injures du temps.
Les
"caves Bette" étant comme on sait l'avatar du refuge de l'Abbaye de
Bonne Espérance, tout portait à croire qu'il s'agissait d'armoiries d'un abbé
de cette Abbaye.
Il
est fréquent que lorsqu'une Abbaye construit ou restaure un édifice, on y fasse
figurer les armoiries de l'Abbaye
accompagnées de celles personnelles de l'abbé en poste. Ici, par contre nous ne
voyons pas les quatre étoiles caractéristiques l'Abbaye de Bonne Espérance.
Nous avions donc, pour vérifier cette hypothèse, à
trouver à quel abbé appartenaient des armoiries dont la description est : "De…
à trois poires de…, celle du canton dextre du chef le pédoncule tournée à
dextre".
Il y a eu 46 abbés à
Bonne Espérance. Nous pourrions rechercher les armoiries de tous ces abbés.
Nous pouvons toutefois,
en se référant à ce que relate Didier Dehon[3],
n'envisager qu'un certain nombre de ces abbés : "En 1380 le bâtiment fut acquis par les religieux de l'Abbaye de Bonne
Espérance qui le transforment en refuge ....Ce refuge sera reconstruit au début
du XVIe siècle. En 1674, il n'est plus utile pour la congrégation..."
Entre ces deux dates
nous ne comptons plus que 15 abbés.
Jean Sortes dont
l'abbatiat s'étend de 1363 à 1394 est celui qui a acquis le bien et peut-être
apporté les transformations.
C'est sous l'abbatiat de
Englebert Maghe (1671-1708) que les religieux cèdent ce qui "n'est plus qu'une ruine." Nous
pouvons logiquement ne pas inclure Englebert Maghe de notre liste.
Il nous reste donc 12 abbés
susceptibles d'être celui que nous cherchons.
Voici la liste de ces 12
abbés. La liste complète des 46 abbés nous a été communiquée par Monsieur
Maurice Servais. Cette liste a été compilée par lui sur base des documents
suivants :
· Engelbert MAGHE, Chronicum ecclesiae beatae Mariae Virginis
Bonae-Spei ..., Bonne-Espérance, 1704.
· Dom Ursmer BERLIÈRE, Monasticon belge, t. I (Provinces de
Namur et de Hainaut), Maredsous, 1890-1897, p. 392-409.
· Norbert BACKMUND, Monasticon praemonstratense, t. II,
Straubing, 1952, p. 361-364.
Jean
Sortes (avant 1365 – 1394) Excellent musicien, il modifia le chant à
Bonne-Espérance.
|
Pierre de Malonne
(1394 – 1421) Il s'occupa de
restaurer les bâtiments de l'Abbaye et de ses dépendances. Lors de la peste
de 1398, il contribua largement par ses aumônes à soulager les malheureux. Il semble qu'à cette époque
la vie commune n'est plus observée dans toute sa rigueur.
|
Gilles Macquet (1421 – 1444) Originaire de Binche, il est licencié en théologie
de la faculté de Paris.
|
Guillaume Jeheniel (1444 –1460)
|
Pierre des Fossés (1460 – 1473) Il reçut un don de 3.700 couronnes d'or de Louis XI,
en reconnaissance d'une promesse faite par ce prince à N.-D. de
Bonne-Espérance qui l'avait préservé d'un danger. L'Abbé dut se déplacer
jusqu'à Paris pour rappeler à Louis XI sa promesse.
|
Antoine de Merdop (1473 – 1495) C'est probablement lui qui fit élever la tour
actuelle; il reconstruisit le quartier abbatial.
|
Nicolas de Merdop (1495 – 1510) Neveu du précédent. Il aliéna un bien au profit de
son frère, ce qui provoqua une protestation des religieux auprès du général
de l'Ordre. Il travailla cependant à éteindre les dettes de l'Abbaye.
|
Jean Cornu (1510 – 1537) Originaire d'Haulchin, il fut élu par 28 chanoines
(15 conventuels et 13 curés). Il fit rebâtir le cloître et le réfectoire, il
créa une bibliothèque.
|
Jean Deppe 1537 – 1555 Le monastère fut pillé deux fois par les Français en
raison des guerres entre Charles-Quint et le royaume de France. Il réédifia
en partie le refuge de Mons.
|
Pierre Desperies (1555 – 1559) Il restaura la ferme de Courrières et une partie du
refuge de Mons.
|
Jean Trusse (1559 – 1580) Originaire de Chaumont-Gistoux. En 1568 le monastère
fut envahi par les troupes du prince d'Orange qui le pillèrent et
l'incendièrent. L'année suivante l'Abbé commença à restaurer les bâtiments
abbatiaux. En 1572 les troupes de Louis de Nassau pillèrent le refuge de Mons
et enlevèrent quantité d'objets d'art. Dans les conflits qui opposèrent les
Etats du Hainaut à Philippe II, Jean Trusse prit le parti du roi, suzerain
légitime, et fut exilé. Après avoir payé une rançon de 6.000 florins, il put
revenir en 1579, mais se retira au refuge de Mons.
Jean Lucq (1580 – 1607) Originaire de Binche. A deux reprises il eut à payer
des rançons pour des religieux faits prisonniers par les "gueux".
Il rebâtit une partie du quartier abbatial et commença la restauration de
l'église. Il reçut pour lui et ses successeurs le privilège des insignes
pontificaux.
====================================================
|
Remarquons encore que
dans les courtes biographies ci-dessus l'Abbé Jean Lucq reçut " pour lui et ses successeurs le privilège des
insignes pontificaux". Ses armoiries sont donc surmontées de la mitre
et de la crosse. Or pas de mitre sur le blason qui est l'objet de notre
recherche, ce ne serait donc pas Jean Lucq sauf si la pierre fut posée avant de
recevoir le privilège..
Retenons les abbés qui restaurèrent ou construisirent. Nous en
trouvons encore 7.
Nous pouvons remarquer
que jamais le refuge de Binche n'est mentionné dans cette liste !
Intéressons nous à la
forme de l'écu, remarquons les trois échancrures arrondies sur le dessus. Il
est d'une forme que l'on qualifie d'italianisante apparue au plus tôt à la fin
du XVe siècle, ce qui pourrait exclure les premiers abbés
de note liste.
Remarquons que Didier
Dehon déclare que le refuge fut "reconstruit
au début du XVIe siècle".
Si nous prenons cette déclaration au pied de la
lettre et en excluant Nicolas de Merdop qui sans doute était trop occupé à
éponger les dettes de l'Abbaye, il nous reste, Jean Cornu (1510 – 1537), Jean
Deppe (1537 – 1555), Pierre Desperies (1555 – 1559).
Le
moment est peut-être venu d'avouer au lecteur que nous avons depuis le début de
la recherche une intuition. Pour l'expliquer, nous devons faire une
digression.
Lorsque
un abbé commence son abbatiat il doit se
constituer des armoiries (tout comme les papes, voyez le dernier pape François)
soit il prend les armoiries de sa famille et si celle-ci n'en possède pas il
doit en " fabriquer".
Que
peut-on faire figurer sur son blason, en principe ce que l'on veut. La seule
obligation c'est de ne pas utiliser des armoiries existantes. On peut donc
utiliser des figures qui font allusion au passé de la personne, de son lieu
d'origine et aussi et c'est assez fréquent une allusion à son nom, c'est ce
qu'on appelle des armes parlantes.
Pour bien faire comprendre prenons deux
exemples de personnages célèbres. Les superintendants des finances successifs
de Louis XIV, Fouquet et Colbert.
Fouquet
avait comme armoiries "d'argent à l'écureuil rampant de gueules
" En Normandie, province dont est issue la famille de Fouquet, on appelle
dans la langue vernaculaire l'écureuil un fouquet.
Colbert
avait comme armoiries "d'or, à une couleuvre ondoyante en pal d'azur " en
latin, couleuvre se dit “coluber”.
Pierre des Peries ou Desperies a un nom qui prête à ce genre
de construction, peries est proche de poires.
Si notre intuition est exacte le blason serait celui
de l'Abbé Pierre Desperies .
Il
nous resterait bien évidement à confirmer cette hypothèse, la meilleure preuve serait
de découvrir une pierre tombale ou un sceau.
Nous
pourrions pour le moins savoir si des travaux ont été entrepris au refuge de
Binche durant son abbatiat.
Encore
une fois je fis appel à Monsieur Servais .Voici le message qu'il m'envoyait au
mois d’août 2012.
En voyant dans votre message le nom de l’Abbé Pierre Desperies, je
suis allé voir ce qu’on disait à son sujet dans E. MAGHE, Chronicum
ecclesiae beatae Mariae Virginis Bonae-Spei, 1704.
À la page 474, j’ai trouvé
la phrase suivante, qui pourrait être une piste : “Eodem anno Civitas
Binchiensis consideratis gratiis & favoribus a nostris Abbatibus huc usque
receptis, concessit nobis ex canali sui fontis aquam ad crassitiem grani
tritici ducere ad nostrum refugium, quod tunc erat portae S. Pauli, alias de
Selevel vicinum”.
Voici la traduction que je propose : “La même année [1557], en
considération des marques d’amitié et des faveurs reçues jusqu’à présent de la
part de nos Abbés, la Ville de Binche nous concéda d’amener de l’eau à
partir du conduit de sa fontaine jusqu’à notre refuge, sur une épaisseur
d’un grain de blé. À l’époque, le refuge était proche de la porte Saint-Paul,
alias de Selevel”.
L’expression “sur une épaisseur
d’un grain de blé” pose question ; le texte pourrait peut-être désigner
par cette formule les limites du débit ou la quantité d’eau qu’ils pouvaient
prélever.
Bien cordialement.
M Servais
------------------------------------------------------
Des
travaux ont donc bien été entrepris sous l'abbatiat de Pierre Desperies. Se
limitaient-ils à l'adduction d'eau ? Étaient-ils assez importants que pour
justifier la pose d'une pierre armoriée dans le refuge ? Pourquoi
la pierre armoriée était elle
scellée au fronton de la porte cochère rue des Pastures ? Le bâtiment a-t-il été propriété de l'Abbaye ?
La pierre mal placée était de toute
vraisemblance un remploi utilisé peut-être lors de la restauration au XVIIIe
siècle (voir supra). Autant de questions qui restent en
suspens.
Néanmoins
les armoiries de l'Abbé Desperies pourraient bien être
" de...à trois poires de... celle du canton dextre du chef le pédoncule
tourné à dextre ".
Ne connaissant ni émaux ni métaux,
j'utilise des pointillés et des dégradés de gris.
[1] Annales
de la Société d'Archéologie de Binche année 1920
[2]
L'histoire de Marchiennes. Léon Spriet. Monographies des villes et villages de
France. 1993, repris de l'édition restaurée de 1898. ISBN 2-87760-423-3.
[3]
Patrimoine de Binche .Carnet du patrimoine p. 41
[4] Ces
armoiries nous ont été communiquées par Monsieur Servais.
[5] D'après
l'Armorial belge des Bibliophiles Vicomte de Jonghe d'Ardoye, Joseph Havenith,
Georges Dansaert tome 1 ed Société des Bibliophiles et Iconophiles de Belgique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire